Tel est le titre d'un article paru le 3 novembre 2006 dans le journal :
DNA "Dernières nouvelles d'Alsace"
Merci à Surian de nous l'avoir fait parvenir.
Voici l'article dans son intégralité
Novembre 1966, la ville était submergée.
A Venise, l’eau est toujours un grand péril
Quarante ans après les inondations dramatiques du 4 novembre1966, qui ravagèrent le nord de l’Italie, Venise demeure d’une grande fragilité.
Certains experts anglo-saxons, plus nombreux qu’en France à s’intéresser au sort de Venise, jugent que si la gestion de la cité lagunaire était confiée à Disneyland, la Sérénissime serait sauvée…
Arpenté par dix-huit millions de visiteurs par an, le cinquième de ce que reçoit la France entière, l’étrange archipel aux 118 îles et 160 canaux serait davantage menacés par les flots désordonnés du tourisme et l’affaiblissement de ses structures sociales que par les marées, la fameuse « acqua alta » qui fait la joie candide des tographes.
La Lagune a perdu
60000 habitants
en quarante ans.
Les mêmes observateurs font remarquer que le coeur historique, seule grande cité fermée aux voitures, a perdu en quarante ans la moitié de ses résidants, ramenés à 60000. Alors que l’agglomération, terre ferme comprise, compte 270000 habitants. Un quart d’entre eux a plus de 65 ans. Au point que certains édiles considèrent que le déclin démographique a atteint un point de non retour, malgré la prospérité évidente de toute la région.
Depuis 452, la lagune et la mer ont accueilli, protégé et nourri une civilisation unique, accouchant d’un patrimoine artistique, architectural et social sans équivalent. Cette union séculaire entre les vénitiens et la mer est-elle sur le point de se dissoudre ? La question est centrale, car ce qui fait tenir la lagune et son mode de vie, c’est le courage jamais démenti de ses habitants. Il est rarement compris par les touristes, obsédés par les peintures, les palais et le tarif de l’expresso.
Depuis 1797 et l’oraison funèbre de la République prononcée par Bonaparte, la mort de Venise est un thème banal, pas seulement dans la littérature ou la peinture.
Au lendemain des inondations de 1966, qui ravagèrent Florence et tout le nord de l’Italie, l’attention internationale ne s’était d’ailleurs pas focalisée sur les malheurs de la lagune. Comme s barbotant en permanence dans l’eau, Venise saurait bien se débrouiller une nouvelle
f ois avec 1,2 mètre d’eau dans les rues.
Conjuguant pluies diluviennes, marée forte et vent de mer, la submersion de 1966 provoqua pourtant des dégâts jamais éprouvés en plus de mille ans d’histoire. Des milliers d’habitants perdirent leur logement, des centaines d’embarcations sombrèrent, sans même parler des atteintes au patrimoine. Le 8 novembre 1966, les DNA écrivent que des milliers de rats s’attaquèrent aux enfants au Rialto, le centre commerçant de Venise…
Le projet MOSE :
79 digues mobiles
pour protéger la ville des fortes marées…
La catastrophe provoqua toutefois une prise de conscience et un élan de générosité sans précédent, pour l’essentiel, en faveur du patrimoine, répondant à l’appel de l’UNESCO, le 1er
Décembre 1966. Plusieurs dizaines de comités de sauvegarde nationaux furent constitués, déversant sur la lagune un flot de contributions pour sauver palais et églises. En 1973, Rome se décidait à voter une loi spéciale pour aider Venise.
Parallèlement, des réflexions s’engageaient pour mettre au point un système de digue efficace. Le projet MOSE (Modulo Sperimentale Elettromeccanico ou Moïse en italien) fut lancé en 2003 par le gouvernement de Silvio Berlusconi après 30 ans de tergiversations. Il consiste d’ici 2011, à construire 79 digues mobiles, relevée en cas de forte marée et retenant la montée de la mer aux 3 bouches du cordon littoral. Contesté par les écologistes et les édiles de Venise, ce chantier de 4,3 milliards d’euros a commencé. Sera-t-il un jour achevé ?
…est jugé peu efficace
à cause de l’élévation du niveau de la mer
Beaucoup d’opposants jugent que Mose, malgré ses dimensions pharaoniques, n’est pas, à l’échelle du siècle, une réponse durable compte tenu de l’élévation prévisible du niveau des mers. En 1900, la place Saint-Marc était inondée dix fois par an. C’est six fois plus fréquent aujourd’hui.
Au cours de sa longue histoire, la ville s’est enfoncée au rythme de dix centimètres par siècles, mais de 23 cm depuis 1897. En cause, le pompage massif des eaux souterraines par l’industrie dont le développement a aussi exigé l’approfondissement des passages maritimes pour accueillir pétroliers et paquebots de croisière toujours plus gros.
A cet enfoncement graduel s’ajoutent les désordres causés aux fondations par le trafic des bateaux à moteur, le « moto ondoso » dénoncé aux fenêtres des vénitiens par calicot interposé. Mais après tout, comme l’écrivait Henry James en 1892, déjà : «C’est un ensemble chaud et coloré. Le battement d’hélice du vaporetto se mêle aux autres sons – non certes que cette note agressive se confine à cette partie du Canal. »
Antoine Latham